12.11.15

Interview de Paul Cauuet et Wilfrid Lupano pour la sortie des Vieux Fourneaux Tome 3


À l'occasion de l'avant-première au Mans du tome 3 des Vieux Fourneaux organisée par la Librairie Bulle sur la place du marché des Jacobins, j'ai pu interviewer le duo créatif derrière la série entre deux séances de dédicaces.


J'avais une formation de Bistrôliste à la base moi ! Lupano
Le Goûteur Culturel : Bonjour messieurs, merci d'avoir accepté cette interview.
Je vais commencer en douceur en vous demandant de présenter votre parcours et de me donner les détails de votre rencontre.
Wilfrid Lupano : Je suis arrivé dans la BD par hasard, des amis musiciens qui avaient pour habitude de jouer dans mon bar m'ont proposé un scénario quand j'avais 28 ans. J'avais une formation de Bistrôliste à la base moi ! Oui, c'est un mot que j'ai inventé hier soir pour définir ma condition de gérant de bar / organisateur de parties de jeux de rôles.
On s'est lancés et Little Big Joe a été publiée chez Delcourt en 2001.
Paul Cauuet : Pour moi ça a été un cheminement logique, j'ai toujours rêvé de faire de la BD. Du coup à 21 ans, juste après la fac d'Arts Appliqués, je me suis lancé avec la série Aster scénarisée par Guillaume claavery, publiée chez Delcourt en 2003.
Le vin, le saucisson et les olives ça rapproche ! Cauuet
LGC : Des "enfants de Delcourt" en somme, c'est dans les couloirs de la maison que vous vous êtes rencontrés ?
Cauuet : En fait c'est en tournée. On est d'abord devenus potes en se rendant compte qu'on avait pas mal de passions communes, dont la passion de l'apéro. Ben oui, le vin, le saucisson et les olives ça rapproche !
Lupano : C'est surtout parce que Paul s'est rendu compte que je tenais un bar dans un coin qu'il connaissait (ils viennent tous les deux de Toulouse) et qu'il pouvait venir se faire payer des coups. Par la suite on a bossé sur une BD ensemble, L'Honneur des Tzarom, encore une fois chez Delcourt haha !


Le point de départ des Vieux Fourneaux c'était d'encrer le récit dans le réel... Lupano
LGC : Wilfrid, d'où vous vient cet art de la punchline qu'on retrouve dans Les Vieux Fourneaux et dans vos autres titres ? Je crois déceler du Michel Audiard dans certains dialogues.
Lupano : Oui, il y a bien sûr une influence des grands films du patrimoine cinématographique français, mais le bistrot reste ma source inépuisable d'inspiration. Mes parents en tenaient un et j'ai très vite baigné dans les conversations de comptoir et la gouaille populaire. Ça m'a donné l'amour de l'argot, des grandes gueules, ce qui m'a amené à me plonger dans les ouvrages des maîtres en la matière comme Alphonse Boudard (La Métamorphose des cloportes, Le Café du pauvre...) ou Jean-Marie Gourio (les recueils des Brèves de comptoir...). J'ai également pu piocher dans les écrits du poète anarchiste Gaston Couté et bien sûr dans les chansons de Brassens dont la chanson Le temps ne fait rien à l'affaire (plus connue sous le nom de Quand on est con) est clairement à l'origine du titre de la série Les Vieux Fourneaux.

LGC : Du coup dans toutes vos œuvres on peut voir que vous avez un attachement au terroir et aux gens "simples", c'est une démarche militante ?
Lupano : Le point de départ des Vieux Fourneaux c'était d'encrer le récit dans le réel, dans une région (le Sud-Ouest, leur région à Paul et lui), avec de vraies personnes, loin d'une imagerie diffusée par un certain type de cinéma français...
Cauuet : Raconter des histoires comme celles des films qui montrent des gens riches avec leurs problèmes de riches dans leurs lofts parisiens, ça ne nous intéresse pas.
Lupano : Il n'y a pas de revendications régionalistes toutefois, nous considérons juste cette démarche comme un axe de construction plus authentique pour faire des histoires qui parlent aux vrais gens. On a un amour des gens ordinaires qui vivent des situations extraordinaires et non l'inverse.
LGC : Un peu comme les "losers héroïques"des films des frères Coen ?
Lupano : Oui, c'est un peu ça, mais il faut faire gaffe à bien prendre l'expression "loser" dans son sens british. En France, on a tendance à traduire ça par "perdant" alors que du côté british, c'est plutôt celui de "perdeur" avec des personnages qui se mettent dans la merde et c'est ce qu'on cherche à dépeindre.
le subconscient a peut-être parlé à travers le crayon en donnant des airs d'Uderzo à Pierrot par exemple. Cauuet 
LGC : Votre trait dans Les Vieux Fourneaux est une sorte d'hommage vibrant au patrimoine de la BD franco-belge, vous n'avez jamais été attiré par un style lorgnant plus vers le Comics ou le Manga ?
Cauuet : Pour Les Vieux Fourneaux, nous avons effectué des recherches de personnages et de styles (avec même un essai dans un style plus réaliste) pour arriver au résultat final entre le réalisme et le cartoony pour les personnages mais avec des décors super réalistes. Au début on partait sur un rendu plus simple au niveau des décors mais mon expérience dans les récits de fantasy et SF avec des décors fourmillants de détails m'a vite rattrapé.
LGC : Et vous vous êtes inspirés de votre entourage pour les designs des personnages principaux ?
Cauuet : En fait non, on s'était vraiment lancés Wilfrid et moi dans des recherches documentaires pour les personnages mais au final le subconscient a peut-être parlé à travers le crayon en donnant des airs d'Uderzo à Pierrot par exemple.
Lupano : Quasiment à chaque dédicace, les lecteurs viennent nous dire que certains personnages leur rappellent leurs grands parents (que nous ne connaissons bien évidemment pas). C'est peut-être parce que, de la même manière qu'on dit que tous les enfants se ressemblent, l'être humain en vieillissant revient petit à petit vers cet état pour avoir plusieurs même modèles de petits vieux.
LGC : Vous avez toujours manié le crayon sur les différents projets sur lesquels vous avez travaillé, vous n'avez jamais voulu scénariser ?
Cauuet : En fait, comme je me reconnais dans tous les scénarios qu'on m'a proposé jusqu'à maintenant, je ne me suis jamais posé la question. Pour l'instant je compte rester au dessin.
LGC : Et vous Wilfrid ?
Lupano : J'ai un rapport particulier au dessin pour ma part.  J'ai une connaissance technique mais je trouve le processus de création quasi mystique. Des dessinateurs me demandent mon expertise sur leurs dessins et je peux leur dire ce qui fonctionne ou pas mais en même temps je suis incapable de dessiner. Je crois qu'une partie de moi sait dessiner mais que ma main ne sait pas le faire : j'ai un champ de connaissance hors de portée de ma zone de compétences haha !
Les frictions dans les histoires d'amour sont plus intéressantes car il faut continuer à s'aimer avec des compromis. Lupano 
LGC : Encore une histoire de femme dans ce tome 3 (même si elle est moins présente que dans les deux autres tomes). Avec vos histoires on pourrait d'ailleurs croire qu'à l'automne de leur vie, les vieilles branches se transforment en vieilles cornes. D'où vient ce fatalisme ? Les hommes sont-ils destinés à être des cocus ?
Lupano : "Vous avez deux heures" ! Plus sérieusement, c'est juste parce que nous essayons de raconter des histoires réalistes et qu'il n'y a rien à écrire sur les couples heureux. Les frictions dans les histoires d'amour sont plus intéressantes car il faut continuer à s'aimer avec des compromis.
LGC : Tout ça, c'est parce que vous êtes un romantique donc ?
Lupano : Haha ! Oui, ce doit être ça. Révélation !
Et d'ailleurs, à propos d'animation, ma blague préférée de l'année c'est... Lupano 
LGC : Bon, dernière salve de questions avant de vous libérer pour votre séance de dédicace de l'aprem. Après les albums sur Antoine, Pierrot, Mimile et Sophie (qui est déjà prévu), vous comptez en écrire un cinquième ?
Lupano : Oui, il y en aura bien un cinquième qui fera office de conclusion globale mais je ne peux pas en dire plus pour l'instant...
LGC : Et sinon, des projets d'adaptation des Vieux Fourneaux ? Films d'animation, série TV, Pièces de théâtre ?
Lupano : Les droits ont été achetés par une boîte de production pour en faire un film, c'est le meilleur format selon nous, bien plus pertinent qu'un film d'animation. Et d'ailleurs, à propos d'animation, ma blague préférée de l'année c'est celle de la ville de Gif-surYvette qui se voit renommer Jpeg-sur-vette pour son manque d'animation !
Cauuet : La grosse blague de graphiste...
LGC : Mais il y a des gens bien chez les graphistes (il paraît) !
LGC : Merci pour le temps que vous m'avez accordé et pour le café (oui, c'est le monde à l'envers, les auteurs de BD payent des cafés aux "journalistes").
Cauuet et Lupano : Mais de rien !

Par la suite, j'accompagnais le duo vers la librairie Bulle pour leur deuxième (grosse) demi-journée de dédicace. J'en profitais pour faire une petite photo avec Samuel, le grand patron de la librairie, que je remercie encore une fois d'avoir organisé cette rencontre avec ces deux auteurs exceptionnels qui nous concoctent à chaque fois de délicieux albums au bon goût de terroir.


 Découvrez Les Vieux Fourneaux T.3
Les Vieux Fourneaux, tome 3 : Celui qui part
Scénario : Wilfrid Lupano, dessin : Paul Cauuet
Éditeur : Dargaud, Prix : 11,99 €

Les œuvres cultes des auteurs des Vieux Fourneaux T3

3 BD cultes :
  • Lupano : Calvin & Hobbes (Bill Watterson), Astérix - Le Domaine des dieux (René Gosciny et Albert Uderzo), Sutures (David Small)
  • Cauuet : Astérix en Corse (René Gosciny et Albert Uderzo), Peter Pan (Régis Loisel), Jeremiah (Hermann)

3 albums musicaux cultes
  • Lupano : Concerto pour détraqués (Bérurier Noir), American Caesar (Iggy Pop), Reflektor (Arcade Fire)
  • Cauuet : Musiques de films (bouh, le tricheur !), Boby Lapointe (Boby Lapointe), Nougayork (Claude Nougaro... chanté en karaoké)

3 films cultes
  • Lupano : The Big Lebowski(Joel et Ethan Coen), Mad Max 2 (George Miller), La Grande Vadrouille (Gérard Oury)
  • Cauuet : The Big Lebowski (Joel et Ethan Coen), Le Nom de la rose (Jean-Jacques Annaud), L'Été meurtrier (Jean Becker)


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