2.6.16

Un Maillot pour l'Algérie : quand ballon rond rimait avec décolonisation

Je ne vais pas vous mentir, le foot et moi, ça fait deux. Préférant le rugby ou le handball (sans parler du basket, largement au-dessus de tout), les actualités de ce sport de milliardaires me passent bien au dessus de la tête en général, d'autant plus que ces derniers temps elles relèvent plutôt du fait divers que des pages sport...
Toutefois, je ne peux que reconnaître l'engouement unique autour du ballon rond, plaçant la discipline au rang de phénomène mondial et social au point de pouvoir même avoir un impact sur l'économie, voire même sur la place d'un pays sur l'échiquier international. C'est pour cette raison que je n'ai pas hésité une minute à me procurer Un Maillot pour l'Algérie, la bande dessinée relatant la création de l'équipe du FLN (Front de Libération National d'Algérie) et à rencontrer ses auteurs ainsi que Rachid Mekhloufi, un des joueurs de cette équipe dont les victoires sur les terrains de football du Maghreb, d'Asie et d'Europe de l'Est ont eu d'immenses répercussions politiques.
Une soixantaine d'années après les Accords d'Évian de 1964 signant la fin de la Guerre d'Algérie et l'indépendance de celle-ci, cet épisode de l'histoire commune de la France et de l'Algérie reste un sujet épineux à traiter. C'est pourquoi il faut reconnaitre aux auteurs d'Un Maillot pour l'Algérie –en plus des qualités graphiques et narratives indéniables de leur bande dessinée– un cran comme on aimerait plus en voir dans l'industrie culturelle. En effet, en plus de ressasser une période trouble de l'histoire française, Rey, Galic et Kris, se permettent de la décrire du point de vue du "camp algérien", toutefois en tâchant de faire preuve d'objectivité historique et en évitant les pièges faussement humanistes de l'auto-flagellation de la France.

Le récit nous place ainsi en 1958 –après une introduction relatant le massacre de Sétif, du 8 mai 1945 dont furent témoins deux des personnages principaux du récit– alors que le FLN, comprenant que l'indépendance ne pourra pas se gagner uniquement par les armes, décide de donner une visibilité internationale à sa lutte par le biais du football, le sport le plus populaire au monde. Une opération d'exfiltration rocambolesque d'une dizaine de joueurs d'origine algérienne évoluant dans le Championnat de Ligue 1 français (dont quatre sélectionnables en équipe de France) est alors mise en place afin de constituer l'équipe nationale renégate d'une Algérie alors française.
L'équipe de football du FLN réalité VS bande dessinée
Il serait bien entendu naïf –et insultant pour tous ceux qui ont versé leur sang, d'un côté comme de l'autre– de penser que cela a suffit à renverser l'issue de la guerre, mais on ne peut que reconnaître l'habileté de la manœuvre utilisant le soft power pour sensibiliser l'opinion internationale jusqu'alors habituée à entendre parler de l'Algérie au travers des actes violents commis par ses "terroristes". Ferhat Abbas, le président du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) déclarera même à l'époque que le fait d'avoir constituer une équipe clandestine de football avait fait gagner dix ans à la cause algérienne.

Une équipe légendaire donc, dont a fait partie Rachid Mekhloufi, ancien joueur de Saint-Étienne qui avait fait le déplacement au Mans lors d'une rencontre organisée le 26 avril dernier à L'Abbaye de l'Épau par le Club des cent cravates du Mans en partenariat avec la librairie Bulle et les éditions Dupuis.

Présent dans la salle de conférence, j'ai tâché de retranscrire au mieux les réponses de Monsieur Mekhloufi concernant sa perception de sa participation à l'Histoire ainsi que son opinion du football moderne : vous verrez que malgré ses 79 ans, l'ancien fellagha du ballon rond a su rester vif d'esprit et quelque peu taquin.

Rachid Mekhloufi et Samuel Chauveau, le fondateur de la Librairie Bulle
À propos du projet BD Un maillot pour l'Algérie et de la constitution de cette équipe légendaire : Monsieur Mekhloufi a été plutôt surpris qu'il soit mis en chantier par des français. Il aurait pensé que ce serait plutôt à l'Algérie d'en parler. À l'époque, le gouvernement français avait fait en sorte que les journaux ne parlent plus de L'Algérie, du coup le FLN avait décidé de médiatiser la cause en créant une équipe de football composée d'internationaux. Il précise que c'est Ben Tifour, un membre de l'équipe en fin de carrière, qui avait pensé braquer les projecteurs sur la guerre d'Algérie grâce au football.


À propos de la guerre d'indépendance et de son enrôlement dans l'équipe : À l'époque de son enfance, il y avait une sorte de ségrégation en Algérie avec des pieds-noirs qui s'accaparaient tout, pour lui c'est ce qui a provoqué la guerre d'indépendance. Il avoue avoir été enrôlé en partie grâce à l'envoi de gars de Sétif pour l'attendrir. Il était gêné de jouer aux côtés de Zitouni et des autres qui étaient des esthètes prodigieux. Pour lui, c'était la perle du football alors que lui-même pratiquait un football imparfait. Il reconnait avoir énormément appris à leurs côtés.
Il précise que sans leurs femmes, des femmes françaises pour la plupart, ils n'auraient jamais réussi à tenir si bien ces 4 années de tournée et affirme être en admiration devant ces "saintes".

À propos de la différence entre le football d'aujourd'hui et celui de son époque : Il fit remarquer que les ballons étaient plus durs de son temps, les terrains et les vestiaires étaient dégueulasses alors qu'aujourd'hui les joueurs sont gâtés à ce niveau, sans compter tous les moyens déployés pour leur préparation. Il avoua aussi ne plus regarder le foot à la TV à cause des "petits rigolos actuels qui se mettent de la gomina et se jettent au sol au moindre contact".

À propos de son retour en France et à Saint-Étienne : Il apprécie encore aujourd'hui l'absence de ressentiment de la part des joueurs et du président de St Etienne à son retour. Il en est d'autant plus reconnaissant du fait que l'OAS (Organisation Armée Secrète) menaçait le club. Le public venait également voir le footballeur qu'il était devenu et il est reconnaît être revenu meilleur qu'avant.

Enfin, à propos du cas Karim Benzema (à noter que le 26 avril, la décision de Deschamps n'étaient pas encore connue) : Pour lui, Benzema devait être "traîné loin des terrains pour ses bêtises si elles étaient avérées".

Lors de cette journée du 26 avril, j'ai également pu m'entretenir avec Kris et Javi Rey et leur poser quelques questions sur leur collaboration ainsi que sur leurs futurs projets (je crois avoir quelques biscuits intéressants pour vous, les amis), mais je vous garde ça pour une prochaine fois. Restez à l'affût, en attendant, je vous laisse sur cette vidéo en honneur de Monsieur Mekhloufi et de ses coéquipiers :


Alors, ça a quel goût
Un Maillot pour l'Algérie ?

Caractéristiques principales
  • Genre : bande dessinée historique
  • Style graphique : semi-réaliste
œuvres similaires
  • BD : Carton Jaune (de Didier Daeninckx et Asaf Hanuka)
  • Ciné : Coup de tête, Good Luck Algeria
Malgré l'amour fou de Kris pour le foot, Un Maillot pour l'Algérie est bien plus qu'une bande dessinée à la gloire du ballon rond. Il s'agit plutôt d'une tranche de la complexe Histoire franco-algérienne vue au travers du prisme footbalistique ainsi qu'une ode au soft power et à tous les moyens luttes ingénieux et non-violents.




Un Maillot pour l'Algérie
Auteurs : Javi Rey (dessins), Bertrand Galic (scénario) et Kris (scénario)
Éditeur : Dupuis
Nombre de pages : 116 pages
Prix : 24 € (classique), 30 € (collector)