23.11.15

[Focus on] Interview de Luc Brunschwig pour la sortie de Bob Morane Renaissance tome 1

Cette interview gardera toujours pour moi un goût de fatalité. Fatalité du fait des circonstances totalement hasardeuses de cette rencontre avec Luc Brunschwig lors d'une visite amicale par hasard à la librairie BD Au Repaire des héros, lors d'un passage à Angers. Fatalité car, en guise de dédicace, l'auteur m'écrivit ces quelques mots, un vendredi 13 novembre à 18h, quelques heures avant de tristes événements que nous souhaiterions oublier, eux :
"Je voulais être celui qui fait la différence... Celui qui apporte un peu de lumière dans un monde qui s'abandonne de plus en plus aux ténèbres".


"Faire la différence dans un monde qui s'abandonne de plus en plus aux ténèbres"... Cela aurait également pu être la devise du Bob Morane sauce Brunschwig et, sil sera plus question de l'auteur que de l'aventurier dans cet article, vous aurez tout de même quelques clés de la cure de jouvence du personnage imaginé par le romancier Henri Verne en 1953 et de sa rafraîchissante modernité.


Il faut croire que le monde n'était pas prêt pour un "Lucky Luke VS le KKK" ! Brunschwig
Le Goûteur Culturel : Bonjour Monsieur, merci d'avoir accepté cette interview.
Comment êtes-vous devenu scénariste de bande dessinée ?
Luc Brunschwig : Je suis un pur autodidacte. J'ai su à l'âge de 8 ans que je voulais faire de la BD quand mon petit frère de 6 ans a créé son personnage "Takor l'extraterrestre" et lui a fait vivre des dizaines d'aventures. Ça a créé une émulation dans notre entourage et la maison s'est vite transformée en repaire d'aspirants auteurs de BD. Paradoxalement, c'est moi, le seul à ne pas avoir su développer un talent graphique, qui ait réussi à en faire mon  métier.... Quoique mon frère est devenu comptable pour auteurs de BD et côtoie techniquement plus d'auteurs que moi haha ! 
J'ai voulu devenir scénariste de bandes dessinées à mes 18 ans mais il n'y avait pas d'école pour cela à l'époque (je ne crois pas que ça ait changé maintenant même s'il y a bien des écoles de dessinateurs). J'ai donc potassé sans relâche 6 ouvrages clés pour me former moi-même à l'écriture en parallèle de mes études en publicité et marketing. Lors de ce cursus, je devais étudier une entreprise et mon choix s'est porté sur les Éditions Lug (ndlr : maison d'édition aujourd'hui disparue qui s'était spécialisée dans la publication de comics US).
Un rêve pour le gros lecteur de comics que j'étais et que je suis toujours ! C'est là que j'ai rencontré Ciro Tota, le créateur du héros made in France Photonik qui, face à mon enthousiasme, m'a proposé de reprendre le scénario de son œuvre pour qu'il puisse se consacrer uniquement au dessin. Sur un coup de tête, j'ai arrêté mes études pour ce projet mais au final les Éditions Lug m'ont proposé une rémunération trop faible, même pour un scénariste débutant, pour que j'accepte de me lancer dans l'aventure. Quelques mois plus tard, la maison mettait la clé sous la porte, je me dis que j'ai donc peut-être bien fait de refuser l'offre...
Les 6 œuvres clés de la construction scénaristique de Luc Brunschwig :
  • The Dark Knight de Frank Miller 
  •  V pour Vendetta d'Alan Moore, David Lloyd et Tony Weare
  •  Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons 
  •  Le Bronx de Will Eisner 
  •  Photonik de Ciro Tota 
  •  Lucky Luke de Morris et René Gosciny
LGC : Mais du coup vous aviez quand-même arrêté vos études...
Brunschwig : Oui, c'est là que j'ai essayé d'envoyer des scénarios à des éditeurs et des auteurs que j'admirais, notamment Morris a qui j'ai proposé un scénario de Lucky Luke qui s'appelait Les Fantômes du Mississippi. Hélas, il faut croire que le monde n'était pas prêt pour un "Lucky Luke VS le KKK" ! (rires)
LGC : Effectivement, ça aurait peut-être fait tâche dans les années 90. Par contre le monde est peut-être prêt maintenant, surtout que l'année prochaine on aura droit à un one shot Lucky Luke en mode "Spirou de..."(ndlr : initiative permettant à des auteurs de livrer leur version du personnage sans qu'elle s'inscrive dans la continuité) par Mathieu Bonhomme.
Brunschwig : Ouais, c'est peut-être le moment de retenter la chose, faut voir...

Je suis un auteur de comics contrarié... Brunschwig
LGC : Quand est-ce que vous avez fini par transformer l'essai ?
Brunschwig : Ça s'est fait avec Le Pouvoir des Innocents qui est le fruit de ma deuxième expérience dans la publicité et le marketing en 1989. Je devais faire une étude de faisabilité d'un projet d'étudiantes en Arts déco et c'est là que j'ai rencontré Hirn qui devint le dessinateur du Pouvoir des Innocents. Nous avons envoyé le dossier, 6 éditeurs furent conquis et c'est au final chez Delcourt que nous avons signé. Par la suite, le tome 1 fut nommé en 1992 pour l'Alph-art du scénario à Angoulême, ça a donné un sacré coup de pouce à la série.
LGC : En fait tout ça s'est passé plutôt vite, si j'ai bien compris c'est entre 18 et 23 ans que tout s'est joué. Un rêve pour pas mal d'auteurs !
Brunschwig : Haha ! Effectivement vu comme ça, c'est pas beaucoup de temps, mais de l'intérieur, quand on a envie d'en faire son métier, ça paraît être une éternité.
LGC : Dans les influences que vous m'avez cité (voir plus haut), vous avez l'air d'être plus comics que BD franco-belge, pourtant vous vous êtes fait un nom dans la seconde catégorie, comment cela se fait ?
Brunschwig : Je crois que je suis un auteur de comics contrarié qui fait du franco-belge avec des scénarios plus axés sur les personnages. Je suis un amoureux inconditionnel des comics car, quoiqu'on en dise, les personnages sont moins détachés du réels que dans la BD franco-belge quand on prend la scène "grand public". Les super héros sont nuancés avec des vies privées et leurs aventures ont des répercussions dessus. Peter Parker était un étudiant sans le sou qui devait faire un petit boulot de photographe et gérer une vie amoureuse. De l'autre côté les héros grand public de BD franco-belge avaient un côté monolithique, ils vivaient leurs aventures et c'était tout.


"Bob Morane" me permettait d'aborder des sujets complexes comme le pillage des ressources naturelles de l'Afrique sans que les éditeurs ne me ferment la porte au nez. Brunschwig
LGC : Et au final vous vous retrouvez artisan en 2015 du reboot de Bob Morane, un héros parmi les plus monolithiques de l'imagerie populaire franco-belge...
Brunschwig : le terme reboot est justement très important car, contrairement au retour de Corto Maltese qui se retrouve dans la continuité de la vision d'Hugo Pratt, là c'est une toute nouvelle mouture du personnage. Je crois d'ailleurs que cette liberté dans la réécriture du personnage a été permise par la volonté des éditeurs de remettre sur le devant un personnage dont le nombre de fans était en constante décrue. 
LGC : Liberté totale donc. Mais sinon, comment le projet est arrivé entre vos mains ?
Brunschwig : À la base, c'est Christophe Bec (Carthago Adventures, les séries Sanctuaire...) qui devait s'y coller mais il m'a proposé de prendre sa place. J'ai d'abord été tenté de refuser car le personnage ne m'intéressait pas du tout puis, après une journée de réflexion, je me suis rendu compte que Bob Morane me permettait d'aborder des sujets complexes comme le pillage des ressources naturelles de l'Afrique sans que les éditeurs ne me ferment la porte au nez. C'était une opportunité de faire ce que j'aime le plus : porter un regard sur le monde, enlevé et jamais de manière chiante. Du coup le récit a été placé dans un futur proche où le Nigéria se voit proposer un marché au goût de néocolonialisme : en échange de ses minerais destinées aux neuro-sciences françaises, le pays reçoit des équipements neuro-éducatifs basés sur cette même science... 
Luc Brunschwig et Thi Nguyen, la co-gérante du Repaire des héros :
une histoire d'amitié commencée chez Delcourt il y a 14 ans
À l'époque, "Urban" devait d'ailleurs s'appeler "Sin City", mais des potes m'ont annoncé qu'un certain Frank Miller venait de commencer une série du même nom. Brunschwig
LGC : En fait ce Bob Morane Renaissance est une bande dessinée engagée !
Brunschwig : Je l'espère. J'essaie autant que possible de proposer des histoires engagées à mes lecteurs.
LGC : Comme dans votre série Urban qui, derrière ses airs de magnifique artbook dessiné par le virtuose Roberto Ricci, abordait un propos grave et touchant (j'écourte car j'ai fait ma groupie car cette bande dessinée fut un de mes plus gros coups de cœur en 2011, mais je vous en reparlerai une autre fois)
Brunschwig : Oui, d'ailleurs un truc rigolo avec Urban, c'est que c'est un de mes plus vieux scénarios. Je l'avais écrit quand j'avais 15 ans alors que j'écoutais du ACDC. À l'époque, Urban devait d'ailleurs s'appeler Sin City, mais des potes m'ont annoncé qu'un certain Frank Miller venait de commencer une série du même nom. (rires)
LGC : Merci pour toutes ces réponses, on se voit demain avec Dimitri Armand, votre dessinateur !
Brunschwig : Ah, on n'en a pas encore fini tous les deux ?! (rires)

Le lendemain, le samedi 14 novembre, les jambes et les paupières alourdies par une nuit d'inquiétude et d'hébétement, je me retrouvais de nouveau à interviewer Luc Brunschwig accompagné cette fois-ci de son dessinateur Dimitri Armand. Le ton était moins déconnant que la veille du fait de la gravité des événements qui venaient d'avoir lieu, mais quelque chose dans les sourires et le regards des deux auteurs montrait une détermination à ne pas se laisser abattre par la barbarie et à continuer ce qu'ils font le mieux : émerveiller les lecteurs de tous âges tout en leur donnant à réfléchir.

 Découvrez Bob Morane tome 1
Bob Morane Renaissance, tome 1 : Les Terres rares
scénario : Luc Brunschwig et David Ducoudray, dessin : Dimitri Armand
éditeur : Le Lombard, prix : 13,99 €

Les œuvres cultes du scénariste de Bob Morane Renaissance

3 BD cultes :
  • Sin City (Frank Miller)
  • Watchmen (Alan Moore et Dave Gibbons)
  • V pour Vendetta (Alan Moore, David Lloyd et Tony Weare)
3 albums musicaux cultes
  • The Wall (Pink Floyd)
  • Consolers of the Lonely (The raconteurs)
  • XO (Elliott Smith)
3 films cultes
  • La Vie est belle (Capra)
  • Little Big Man (Arthur Penn)
  • Starship Troopers (Paul Verhoeven)

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire