19.8.16

Kappa16 : le shintoïsme pour comprendre une RAM en peine

D'aussi loin que je me souvienne, hormis les classiques d'Isaac Asimov, et de Philip K. Dick, les histoires sur la robotique m'ayant le plus touché ont majoritairement été japonaises : Gunnm, Appleseed, Ghost In The Shell, Pluto ou même Armitage III...
La narration japonaise me semblait à chaque fois insuffler une sensibilité et une chaleur dans des récits concernant pourtant des enveloppes froides. En parallèle, au niveau technologique, j'ai toujours été bluffé par les progrès impulsés par le Japon.
L'expert japonais en robotique Hiroshi Ishiguro repousse les limites de l'humanisation des androïdes
Le Pays du Soleil Levant me paraissait donc définitivement lié à la robotique moderne, bien que n'en étant pas le berceau. Un peu comme si les japonais avaient établi un dialogue sain avec une divinité mécanique grâce à leur héritage shintoïste. En effet, cette religion et philosophie part du principe que chaque objet animé ou inanimé possède une âme et même une volonté. Un atout potentiel dans la compréhension des machines, que je m'étais promis d'analyser un jour. C'est pourquoi je fus immédiatement intrigué lorsque Neil Jomunsi dévoila Kappa16, son "roman robopulp" sur fond de concepts shintoïstes. Suivant depuis un moment l'auteur pour ses écrits mais également ses prises de parole sur Twitter et son blog (je vous invite vivement à faire de même), j'étais impatient de goûter son traitement de la thématique.
Un lundi matin, j'embarquai ainsi l'ebook dans ma liseuse histoire d'agrémenter mon heure de train du Mans à Paris. Il ne me fallut guère plus de temps pour dévorer la nouvelle et sentir que ma semaine commençait sous les meilleurs auspices. Première bonne surprise : la narration à la première personne efficace. Dans Kappa16, la prise de conscience des éléments de contexte sociaux comme technologiques s'effectue au travers des capteurs sensoriels et de la logique procédurale d'Enoch, un androïde du modèle donnant son nom au récit.
L'histoire démarre justement avec la mise en service d'Enoch par la famille l'ayant acheté afin qu'il s'occupe de Saul, leur fils autiste pesant. Des noms à consonance très hébraïque et ramenant paradoxalement à la Bible et la Torah, dans un récit se basant sur le shintoïsme. Avec ingéniosité et sensibilité, Neil Jomunsi puise en effet dans les croyances nippones pour expliquer des concepts d'intelligence artificielle ou même amener le lecteur à une meilleure compréhension de l'autisme. La lecture de Kappa16 s'apprécie donc pas à pas avec fluidité, une fois les pages "d'initialisation informatique" d'Enoch passées. Une progression en douceur qui permet d'installer le drame ordinaire se construisant autour de l'arrivée de l'androïde au sein d'une famille pleine de fêlures et menaçant de voler en éclats...
Pour nous ouvrir une fenêtre sur la perception détachée presque omnisciente d'Enoch, l'auteur introduit tour à tour des concepts shintoïstes et linguistiques japonais. Une occasion parfaite de (re)découvrir les "Tsukumogamis", ces objets domestiques ayant pris vie en gagnant leur âme au bout de 99 ans de service –un élément folklorique également utilisé dans le manga Area 51, un de mes coups de cœur de 2015–; ou encore le "Mottainai", le fait d'utiliser un objet sacré à des fins indignes de lui. A côté de cette approche pédagogique et poétique, des questions plus proches de nous sont également soulevées comme la collecte intrusive des données via la connectivité croissante des objets de notre quotidien. Rien d'étonnant vu la réflexion continue de Neil Jomunsi au sujet des libertés individuelles à l'ère du numérique. Du coup, après avoir tourné la dernière page de Kappa16, il est difficile de croire que l'on a eu accès à une telle richesse narrative mais également cognitive en si peu de temps de lecture. C'est pourtant bien le cas, ce roman –écrit dans sa première version pour être lu sur la ligne Ring-Bahn du métro berlinois– réussit à captiver de bout en bout et à offrir une des œuvres les plus rafraîchissantes sur la robotique qu'il m'a été donné de goûter depuis un bon moment.
Comble de la surprise, il ne s'agit pas d'une oeuvre japonaise mais bel et bien d'un roman français, écrit en Allemagne, qui plus est....


Alors, ça a quel goût Kappa16 ?

Caractéristiques principales
  • Genre : anticipation, drame
  • Style d'écriture : narration à la première personne
œuvres similaires
  • BD et romans : Pluto, Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
  • Ciné et TV : Ex Machina, Real Humans
  • Musique : la B.O de Mushishi
Si la lecture de Kappa16 est rapide à boucler, la richesse de ce récit d'anticipation dramatique sur fond de robotique et de concepts shintoïste aura rarement été atteinte. Une expérience narrative pleine de poésie à vivre à la première personne au travers du regard d'un androïde d'assistance domestique en charge d'un enfant autiste.


Kappa16
Auteurs : Neil Jomunsi
Éditeur : Walrus
Nombre de pages : 134 pages
Date de sortie : 04/06/16
Prix : 9,99 € (papier) / 3,99 € (numérique)