25.9.16

Le Port des Marins Perdus : quand c'est l'amer qui prend l'homme

Je ne cesserai jamais de le dire : pour un "goûteur culturel", aller dans une librairie, c'est comme mettre les pieds dans un grand restaurant étoilé. Le libraire et son équipe (pour les établissement de taille conséquente) ne font pas que nous servir les plats qu'on aura choisi de manière plus ou moins avisée sur la carte. À force de fréquentation, ils finissent par connaître nos habitudes et par nous proposer spontanément les mets les plus adaptés à nos palais. Dans le cas du succulent Port des Marins Perdus, je poussai à peine les portes de la meilleure table mancelle, la librairie Bulle, que la commande avait déjà été prise pour moi par Samuel, le taulier. Je l'en remercie encore.

Avant d'ouvrir ce roman graphique (oui, comme mon coup de cœur Étunwan, Le Port des Marins Perdus mérite bien ce titre), je ne savais rien du couple d'auteurs italiens Teresa Radice et Stefano Turconi. Dès la première bouchée, j'eus pourtant l'agréable sensation de déguster un plat "fait sur-mesure" pour moi. Non parce que je me reconnaissais dans le récit, comme pour ReLIFE, mais plutôt parce que la simplicité de celui-ci empêchait toutes fioritures d'interférer avec mes émotions. En effet, l'intrigue construite en actes, comme pour un opéra, nous fait suivre la quête d'identité d'un jeune garçon amnésique. Abel est trouvé inanimé par William Roberts, un Commandant de la marine anglaise, sur une plage du Siam. L'officier de la reine décide alors de recueillir le jeune garçon sur le navire dont il a récupéré les rennes après l'inexplicable trahison de Reynold Stevenson (hommage quand tu nous tient), le Capitaine du navire. Une relation d'amitié va très vite se construire entre les deux personnages et –malgré la méfiance d'un équipage superstitieux– Abel finira par trouver sa place sur le navire. Partis d'abord sur la piste d'un mousse naufragé, on se rend assez vite compte qu'il y a peut-être bien plus derrière cette rencontre. Après le retour de notre équipage à Plymouth, on verra ainsi notre jeune amnésique confié par William Roberts aux filles du Capitaine Stevenson– faire remonter à la surface les souvenirs enfouis de la ville portuaire à défaut de retrouver les siens.


Peu importe si le mystère se dissipe assez vite alors, Teresa Radice n'avait sûrement pas pour but de nous soumettre l'énigme du siècle. Le Port des marins perdus est en réalité une cantate mélancolique sur les regrets et les actes manqués mais aussi –par dessus tout– sur l'amour. Le "sentiment qui fait courir le monde" y est représenté sous quasiment toutes ses formes : filial, charnel, perdu, retrouvé, impossible, contrarié, destructeur, salvateur... et c'est un régal, surtout quand on a le palais mélancolique.


Cette simplicité touchante et poétique du scénario de Teresa Radice n'aurait sans doute pas eu autant d'impact si elle n'avait pas été accompagnée par le trait tout aussi épuré de Stefano Turconi. Avec son style crayonné et les expressions corporelles dynamiques de ses personnages, le dessinateur italien donne l'impression d'avoir affaire aux croquis préparatoires d'un film d'animation Disney. Rien d'étonnant, le talentueux illustrateur officie depuis des années pour le magazine Topolino (Journal de Mickey italien), il y a d'ailleurs dessiné L'Île au Trésor version MickeySi chaque personnage –même aperçu le temps d'une case– est unique, dans le Port des marins perdus, c'est la gente féminine qui tient le haut du pavé. Qu'il s'agisse de femmes fatales ou de jeunes filles pieuses, leur représentation est tout bonnement délicieuse. On se rend d'ailleurs vite compte qu'elles occupent une place centrale dans le récit, chacune à leur manière. Quoi de plus normal dans une histoire de marins, en même temps.
Quelques filles du Pillar To Post, lieu de plaisir incontournable de Plymouth

Crédits planches : © 2015, 2016 Teresa Radice, Stefano Turconi © Glénat / treize étrange

Alors, ça a quel goût Le Port des Marins Perdus ?

Caractéristiques principales
  • Genre : roman graphique, drame, aventure
  • Style graphique : crayonné, cartoon
œuvres similaires
  • BD et romans : L'ïle au trésor, Les poèmes de Lord Byron (Le Corsaire, en particulier) et de John Milton
  • Musique : la B.O de Master and Commander
Le Port des Marins Perdus a beau être sorti au cœur de l'été, la mélancolie et la poésie émanant du titre sont typiquement automnales. Si vous êtes passés à côté, rattrapez-vous avec l'arrivée de la saison la plus spleenétique de l'année. Un véritable concentré de spleen et de poésie servi par des crayonnés dynamiques dignes de films d'animation Disney.


Le Port des Marins Perdus
Auteurs : Teresa Radice (scénario), Stefano Turconi (dessin)
Éditeur : Bao Publishing (Italie) / treize étrange pour Glénat (France)
Nombre de pages : 320 pages
Date de sortie : 08/06/16
Prix : 22 €

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire